Interview de Jean MOREAU, parrain du Lab Développement

Ils sont parrains de Lab, intervenants, étudiants ou anciens étudiants, entreprises partenaires : ce sont eux qui font notre école. Nous leur laissons le soin de décrypter pour vous la DC-Sphère.

"Réconcilier innovation technologique, croissance raisonnée et impact positif devrait pourtant constituer une belle ambition collective, et un axe de différenciation majeur pour la France et l'Europe."

Jean MOREAU
Co-Fondateur & CEO - Phenix
Parrain du Lab Développement

interview DC

Digital Campus : Vous avez accepté d’être le parrain du Lab Développement. Qu’est-ce qui vous motive dans cette mission ?

Ce qui m’intéresse, c’est de conduire des talents de cette génération vers des entreprises ou des métiers à l’impact environnemental positif. J’aimerais que tous les étudiants formés à Digital Campus aillent postuler dans des entreprises qui adressent une problématique d’intérêt général, qu’elle soit sociale, environnementale, pour la santé, l’éducation ou le bien vieillir… Si toutes ces énergies sont mises dans la bonne direction, peut-être que nous irons un peu moins vite dans le mur.

DC : Comment cela se traduit-il ? Comment les accompagner sur ces sujets, comment insuffler un mouvement quel que soit leur futur secteur ?

Il y a plusieurs voies à ouvrir. D’abord, il s’agit de leur montrer des exemples inspirants d’entreprises qui fonctionnent. Leur démontrer que c’est non seulement possible, mais que c’est une tendance de fond. C’est un axe de développement qui recrute et qui est bien financé, parce que les investisseurs veulent aussi contribuer à des modèles vertueux. Leur montrer ensuite qu’il y a des opportunités de carrière dans des structures à impact positif. Puis illustrer par des modèles de la tech for good *, plutôt que d’aller par réflexe ou par facilité dans une grande marketplace d’e-commerce ou dans une grosse agence de pub. Cela ne passe pas par des attitudes agressives vis-à vis de ces structures « classiques », sans concurrence ni dénigrement aucun, mais par un échange constructif sur la place et le rôle que chacun souhaite jouer pour bâtir l’économie de demain. Quand je vois tous ces talents, toutes ces compétences en devenir, j’invite les étudiants à se poser les bonnes questions sur leur utilité et leur contribution, dès la sortie de l’école. Les grandes remises en question qu’on opère habituellement autour de 40 ans, on peut les envisager bien avant pour donner du sens à sa vie.

DC : Pourquoi, à votre avis, a-t-on pensé à vous pour devenir parrain ?

J’ai fait partie des intervenants réguliers de l’école en tant que coach pendant deux ans, et me voilà parrain depuis la rentrée dernière. Je pense que c’est né d’une volonté de la direction de l’école de donner cette coloration Green Tech / Tech For Good à l’enseignement. Digital Campus veut se positionner fortement sur la transition écologique, environnementale, afin que les étudiants prêtent attention à l’impact du numérique, et réfléchissent à la manière dont ces nouveaux métiers peuvent contribuer à un monde meilleur.

DC : Y a-t-il des choses à noter dans ses pratiques personnelles ? Si je veux faire du Dev, comment appliquer ces valeurs ?

Il y a différentes choses à dire là-dessus en effet.  La première des démarches, c’est de mettre ses lignes de code au service d’une solution à impact positif. Si ce n’est pas possible et qu’on préfère sécuriser un bon salaire dans une structure plus robuste, plus mature, on peut se réaliser dans ce qu’on appelle du bénévolat ou du mécénat de compétences : une fois par semaine ou une journée par mois, avec l’accord de l’employeur, en tant que développeur, on peut alors contribuer à créer le site d’une association, ou encore donner un coup de main à des acteurs du secteur caritatif, de l’insertion  ou de la solidarité qui sont, il faut le reconnaitre, souvent peu visibles dans le monde du digital. On peut aussi utiliser du matériel de seconde main, ou reconditionné, éviter les moteurs de recherche à impact, en trouvant des alternatives à Google, comme Lilo ou Ecosia, qui utilisent les bénéfices générés par les recherches en ligne pour planter des arbres. De nombreuses pratiques du quotidien sont des gouttes d’eau certes, mais font la différence à long terme, si chacun fait sa part. On demande aussi aux gens de faire attention aux envois de pièces jointes lourdes, à l’envoi de grosses photos ou de gros pdf par exemple, en préférant le partage d’un lien vers le cloud. On incite à utiliser des serveurs en France plutôt qu’à l’étranger. La question de la propriété intellectuelle dans le partage de la data doit aussi être étudiée. Comment peut-on s’engager à poster en open source, à partager des bouts de codes, des créations, dans une logique partenariats et collaborative plutôt que compétitive ? Vous le voyez, dès qu’on se pose des questions d’impact, au sens littéral, on trouve toujours des voies de progrès.

DC : Quid des technologies durables et de leur stabilité dans le domaine du développement ?

Il y a des technologies plus ou moins à la mode. Cela change tous les trois ou quatre ans. Et là, nous faisons face à deux objectifs qui s’affrontent : l’innovation d’un côté, et la préservation des ressources de l’autre. On ne peut pas empêcher des chercheurs de trouver des méthodes de code toujours plus innovantes et performantes.

DC : Alors comment résoudre cette double contrainte et ce tiraillement entre innovation et durabilité ?

Il existe un outil : le Galion Impact Solution, avec toute une thématique du numérique responsable, des modes opératoires pour faire les choses de manière cohérente. Le Galion Project est un réseau d’entrepreneurs du digital, dont je suis l’un des membres. Notre but est de faire grandir l’écosystème Tech français. Ce réseau a été créé par des grands entrepreneurs historiques de la french tech (les fondateurs respectifs de Blablacar, de Criteo et Price Minister).  Aujourd’hui, je fais partie de la relève de nouveaux entrepreneurs qui ont beaucoup de respect pour ces pionniers et essaient d’insuffler de nouvelles pratiques et de nouveaux standards.

DC : La Green Tech est-elle une position facile à tenir ?

Non, ce n’est pas facile, car cela dépasse les chiffres de croissance, de rentabilité…Phénix pourrait se contenter d’être une startup classique, avec de bons chiffres de croissance, de création d’emplois, une progression rapide, une belle « traction ». Or nous nous efforçons de cultiver quelque chose en plus…. Cette petite touche extra-financière n’a de valeur que parce que la startup est dans les clous de la réussite.  Si ce n’était pas le cas, on ne serait pas pris au sérieux.  Aujourd’hui,  on subit encore les doutes sur cette posture tech for good. On doit faire ses preuves d’abord. Souvent les gens pensent que ces modèles ne sont culturellement pas rentables, que nous ne sommes pas de vrais startuppers, ou pas en mesure de « scaler », de changer d’échelle. Nous montrons que c’est possible d’allier croissance et impact, que c’est possible et même souhaitable et qu’on peut dépasser le préjugé qui dirait : « Ce sont de doux rêveurs ».

DC : Qu’est-ce qui bouge alors ?

Les jeunes générations bougent, elles demandent justement ces modèles-là. De plus en plus de belles boites montrent que ça marche pour de vrai. Je citerai Back Market, devenu numéro 1 du reconditionné en France, c’est une belle marketplace de téléphonie et de fourniture d’ordinateurs d’occasion, ils ont levé 110 millions d’euros pour leur développement. Hesus, avec son modèle d’économie circulaire sur les chantiers, permet le recyclage intelligent des matériaux, revendus ou donnés pour être retravaillés. Enfin, RecycLivre achète et vend des livres d’occasion, MicroDon généralise l’arrondi solidaire sur ticket de caisse et Wenabi digitalise l’engagement des collaborateurs.

DC : Que vous apporte ce rôle de parrain ?

C’est une manière pour moi d’opérer une veille sur les talents, de rester au contact de ce qui se fait et des nouvelles tendances. Les étudiants de Digital Campus constituent un vivier de futurs collaborateurs. Je crois aussi beaucoup à l’exemplarité, donc j’espère leur montrer une voie. C’est aussi un levier indirect pour faire connaitre Phenix dans l’écosystème. Phenix peut donner proposer de grands projets aux étudiants sur 6 mois. Et puis c’est une manière de rendre service aussi, je crois, car il n’y a aucune contrepartie directe. C’est mon choix d’entrepreneur de transmettre, et peut-être d’inspirer, de susciter des vocations de carrière « à impact positif ».

DC : Que diriez-vous à un étudiant qui hésite à se lancer ?

Je vais parler spécifiquement des débouchés dans le secteur du développement. Ce sont des métiers qui recrutent, qui sont totalement dans l’air du temps, bien rémunérés. Comme les bons profils sont rares, il y a plus de demande que d’offre, ce qui crée un rapport de force inversé sur le marché du travail. Digital Campus donne l’opportunité de participer à des projets vraiment complets et sympas. L’effet de levier me semble intéressant quand on travaille dans le tech. On peut avoir un gros impact et à grande échelle.  Pour ceux qui veulent évoluer, ils peuvent accéder au poste de CTO (directeur technique). Le Développement reste un métier d’expertise, qu’il est intéressant de faire un temps, pour éventuellement à terme développer d’autres compétences et devenir un bon entrepreneur, un bon startupper, tout en conservant sa culture tech initiale pour maîtriser le processus de construction d’un produit « scalable ».

DC : Avec une part de créativité ?

Oui, il y a essentiellement de la méthode et de la rigueur dans le code, mais aussi une part  de créativité , en trouvant des moyens de  « bootsraper » pour lancer des prototypes rapidement par exemple. On voit aussi certains développeurs adorer « refactorer » le code de leurs prédécesseurs,  ils n’ont pas tous la même approche pour concevoir l’architecture des sites, celle des outils ou la façon de construire un cadre évolutif qui puisse tenir la charge.

DC : Qu’est ce qui fait l’épanouissement dans le Dev ?

Le développement peut être perçu comme un métier de l’ombre, un métier support, même si les développeurs ont tendance à être remis au centre de la scène dernièrement dans certaines start-ups à forte culture « Produit », au risque parfois pour certains d’avoir des comportements de divas. Quand toute la boîte repose sur eux et qu’ils dictent le tempo des nouvelles offres, des nouvelles features, etc … Quand tout va bien c’est normal et ils ont peu de reconnaissance, et dès qu’il y a un bug ou un down time, on leur tombe dessus. Ce yoyo peut être difficile à vivre. Ils pâtissent aussi souvent du manque de culture tech général dans les équipes, qui ont tendance à sous-estimer certains délais ou certaines difficultés.

Le côté super chouette du métier, c’est qu’on peut avoir un impact à grande échelle et de manière massive. Alors qu’un consultant est limité par son agenda et son « temps-homme », un bon développeur peut participer à la construction d’un produit à effet démultiplicateur. C’est donc aussi une fonction plus dure à débrancher et à remplacer,  ce qui en fait une ressource qui doit être davantage reconnue, choyée.

DC : C’est une ressource précieuse ?

C’est certain, et je crois que la meilleure preuve de cette affirmation c’est la tension sur le marché du travail pour ces profils-là, et les niveaux de salaires auxquels ils peuvent prétendre, même en comparaison directe avec un Bac+5 issu d’une école de commerce, d’ingénieur ou de Sciences-Po. C'est d'autant plus vrai par les temps qui courent, qui ne font qu’accentuer la transition digitale des entreprises !

* Tech for good : réseau des entrepreneurs et investisseurs qui développent et financent des solutions Tech et digitales pour accélérer la transition vers une société plus durable et responsable.

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